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OLIVIER SOURISSE, portrait d'un auteur

Olivier Sourisse est dramaturge et romancier. Et si nous l’avions découvert avec l’excellent Stavanger, son talent s’est révélé avec Le Captif. Et autant le dire tout de suite, il suffit d’avoir vu ses deux pièces pour concéder qu’il est de la trempe de ces auteurs-résistants face à la politique des compromissions intellectuelles, un sondeur des âmes délaissées, celui qui épuise avec ses mots les travers humains, révèle l’insuffisance d’amour qui provoque tant de douleurs, de solitude. En somme, un fileur de destins ordinaires doté du don inouï du partage. Car là est sa force indéniable, celle de ne jamais trahir la pensée de l’autre.

Bien sûr, à la Semaine théâtrale, nous aurions pu nous contenter d’attendre que se monte une nouvelle pièce de l’auteur pour évoquer son écriture, mais voilà, Olivier Sourisse est aussi romancier. Mieux que ça, il est l’auteur d’un puissant roman. Pourquoi ? Mais parce qu’avec Mes amours souterraines, il a atteint le haut degré de la maturité, se livre comme le fait rarement un auteur en s’offrant à ses personnages. Cet auteur, qui brille désormais, accepte de révéler ses failles, sa mise en abîme, ses certitudes et ses peurs. D’ailleurs, ne nous ne trompons pas, la galerie des personnages qui hantent son adolescence ne doit rien au hasard : au contraire, ici, exactement, sa vie devient festin. Sa chair, le buvard de leurs sentiments. Sa vérité, une vérité pour vivre à cœur ouvert. Il suffit de lire les premières lignes pour le comprendre. La scène du professeur souhaitant Bonnes vacances ! à toute la classe, si elle paraît anodine, fait en effet apparaître la dure réalité d’un adolescent incompris, emmuré dans une morale qui l’exclut, méprisé sans pour autant se déclarer victime. Non qu’il soit naïf. Au contraire, si le rejet qu’il vit a comme un air de fête forcée, c’est parce qu’en garçon libre il refuse de mépriser ce monde, qui ne sera peut-être jamais - O prouesse absolue de l’imaginaire ! - le sien. D’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement, puisque dans celui des autres on l’invisibilise, on le condamne à une vie factice, de mensonge, on lui impose une façon d’aimer, le tout scellé par le sceau des diktats d’une société de rejet. Et peu importe qu’il en souffre, de l’amour ô combien on lui en offre (et quel formidable paradoxe) ; de sa mère qui le considérera toujours comme son petit, de son père complexe qu’il lui confie être né dans une famille qui n’a pas de chance, en passant par la sœur quasi jumelle rêvant d’étoiles sous l’œil cruel d’un frère casseur de pédé. Un tout qui lui fait crier intérieurement :


Quelle violence, l’amour !

Sans conteste, avec Mes amours souterraines, l’auteur transfuge sa réalité en un récit qui ni ne juge ni réécrit l’histoire. Parce qu’il a su rendre vivante et sincère son écriture, jamais il n’est dans la caricature, entache le verbe par des accents surfaits. On est même à l’opposé du règlement de comptes. Bien sûr, il y a des coupables, coupables d’avoir inhibé son être, mais l’extrême étant une solution d’anéantissement, et le sachant, l’adolescent préfère à la guerre sociale ses règles à lui. D’ailleurs, déjà il s’est créé son monde retranché, avec comme oxygène l’atmosphère des souterrains, et pour nourriture unique l’amour de Siegeer, quinze ans, lui aussi. Ce qui, si cela s’était su, aurait pu devenir un amour-suicide. Heureusement, à l’image du poison, la haine contient aussi son sérum.


La portée sociale de cette œuvre est indéniable. Mais plus encore son intemporalité. Bien que se déroulant en 82, nul doute que les tranchées bétonnées de la cité ouvrière, à Nantes, ont le goût du souffre d’aujourd’hui. Pour quiconque est différent, les menaces ne sont pas loin, peu importe les époques.


Plus incroyable encore, s’il se fait maître d’un langage parlé et cru, il est intéressant de constater que l’auteur ne fait pas cas de communautarisme, d’endogamie sociale. Probablement est-ce dû à son cursus scolaire stoppé net par un enseignement plus souvent prédateur d’âmes sensibles que révélateur des forces de ses dernières. La scène du plongeoir en est un exemple flagrant, mais encore plus celle décrite chez le conseiller d’orientation. Là est la preuve même que l’intellectualisme, si on s’en est mal nourri, peut provoquer un rejet de l’autre aussi violent que celui que l’on fait subir aux laissés pour compte. Les entrées dans le monde meilleur pour ces derniers n’étant pas nombreuses, n’en déplaise à ceux qui tendent à fantasmer sur la middle class. Eh oui, il faudrait un peu plus de décence à ceux qui font de la colère des chômeurs, des abandonnés sur le bord de la route, des crève-la-faim, leur œuvre sur papier glacé.


Ecrire coûte une vie à la seconde.

Une chose est certaine, avec son roman au bord du précipice, et si universel à la fois, l’auteur ne cherche pas à se faire une image chic de littérateur. Ce qui compte pour lui, c’est comment la littérature peut rendre service à la pensée, comment elle permet la communion entre ceux soucieux de trouver une écoute, un écho à leurs propres émois. De même que cette même littérature, par son empreinte humaine, projette les souvenirs sur les murs du présent, pour en composer un futur constellé d’espoir. Ici, c’est une langue qui vit, transpire, une sonorité populaire - enfin ! - et sophistiquée à la fois, au bon sens du terme. Il suffit de lire à haute voix certaines lignes pour se rendre compte que l’auteur a composé la mélodie de nos passions enfouies. Car enfin, qui n’a pas aimé secrètement, fantasmé, vécu ses fantasmes toujours à l’écart de l’œil du monde ?

Du fait qu’il s’agit d’un roman d’après son histoire vraie, nul doute que l’auteur prouve qu’il est capable de faire de la dentelle avec la douleur et les rêves, de rentrer dans le dur avec les mots. Ce qui nous promet de parcourir avec lui encore un bout de sa vie. Il est jeune, tout à la jeunesse éternelle de son œuvre. Tout dans ce qu’il propose est fait déjà de miracles. Venu de loin, des confins de cette société aux antipodes des beaux quartiers et des grandes écoles, l’auteur est un serviteur de la vérité. Gageons que son honnêteté le préservera des sirènes de la facilité. Le champ des lettres est déjà bien trop jonché de cadavres d’écrivains (encore vivants pour beaucoup) pour risquer de le perdre. Comme il l'avait écrit, Écrire coûte une vie à la seconde. Puisse Olivier Sourisse en avoir plusieurs. On a tellement envie qu’il entre à nouveau chez nous, accompagné de ses fantômes. Nous, lecteurs, dans nos solitudes, qui aimons tant leur visite, ne pourrons que lui en être que reconnaissants. Et puis, qu’est-ce un souvenir chantant sans le verbe ? Une cendre froide ? Lui est un maître du feu.


Olivier Sourisse, s’il devait être défini par un rôle, ce serait Celui qui erre sur nos terres intimes. Et danse sur les braises jusqu’à la renaissance des souvenirs.


Anne Champaigne

Mes amours souterraines, d'Olivier sourisse, 310 pages, Editions Orizons. Dans toutes les bonnes librairies.


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