LES CREANCIERS, de Strindberg
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Assister à une pièce de cet artiste immense qu’est Strindberg représente toujours un évènement émouvant et éprouvant.
Dans une station climatique de la Mer baltique, deux hommes parlent de leurs expériences amoureuses. Le plus jeune, Adolphe, est peintre, marié à un auteur montant, la redoutable Tekla, qu’il a initiée au monde des arts et qui le plonge désormais, par ses froideurs et ardeurs alternées, dans la plus sombre neurasthénie. Le plus âgé, Gustave, décèle la gravité du mal du jeune homme et décide de l’aider, par un subterfuge, à voir sa femme telle qu’elle est. Sans lui révéler qui il est. Le prédécesseur.
Disséqueur minutieux des rapports implacables de l’homme et de la femme, Strindberg a écrit une comédie tragique, où chacun s’illusionne et le doit pour survivre. Le don corrompt et l’être aimé ne se pardonne pas le « retard » que l’autre comble. Aimer conduit à l’abîme. Et l’être souffrant, devant celui qui s’accommode des roueries du monde, apparait seul et ridicule, empêtré dans ses indignations. Face à l’idéal de l’homme, à son éternelle tentation de contrer Dieu, la femme oppose la réalité, la nécessité, la loi terrestre, qui est sienne : deux chevaux de trait accrochés ensemble, voulant entrainer l’autre sur sonchemin. Bien sombre constat, qui débouche sur l’incompréhension et la douleur. S’aimer, c’est se perdre.
Le metteur en scène n’est autre qu’Anne Kessler, remarquable comédienne et habile scénographe. La distribution atteint la perfection : Gustave, c’est Didier Sandre, le retors accoucheur d’âme, le puisatier d’abîme, bouleversant, séduisant, diabolique, face à Sébastien Pouderoux, vulnérable, touchant, victime. Adeline d’Hermy est idéale dans son rôle d’Eve « bergmanienne », sadique, désinvolte, vénéneuse, toujours juste et inquiétante.
Éblouissante réussite que ces « Créanciers », plongée glacée dans le non-dit des sexes.
Christian-Luc Morel
Comédie-Française, Studio-Théâtre, Carrousel du Louvre, 99, rue de Rivoli, Paris Ier. Location : 01 44 58 38 58. Tous les soirs à 18h30, sauf lundi et mardi. Jusqu’au 8 juillet.