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BLUEBIRD, de Stephen Simon


Bluebird, c’est le taxi de l’incandescence. De toutes les incandescences, physiques et mentales. D’abord lente, elle prend forme dans les phares des regards des âmes esseulées, cherchant à fuir le quotidien mal assumé, mal vécu, toujours la nuit, aux abords de leur existence comme si déjà ils l’avaient quittée.


Ils, ce sont les clients de Jimmy, le taxi d’une Bluebird. Clients appelés charges. Ce qui en effet est mieux approprié, comme une charge lourde qu’il va falloir soutenir au risque que le bitume devienne le ciment de leur tombe. Ce qui est presque déjà le cas pour la prostituée, le junkie, le videur de boîte de nuit… et parce que la mort rôde autour d’eux, telle l’ombre maléfique, il y a cet ange de l’écoute, celui qui ne juge pas, mais dont la bienveillance alimente le peu d’espoir qui leur reste. Car la force de cette pièce réside bien là, dans ce qu’il y a d’affectif entre des inconnus borderline ; chacun cherchant un écho à leur désarroi, chacun cherchant à s’accrocher au soleil qui luit dans les phares du véhicule de l’ange. C’est d’ailleurs cette métaphore avec laquelle s’écrit le traveling de leur destinée commune sur la scène du Rond-Point.


Et parce qu’il faut centraliser les rencontres dans un lieu à la fois fixe et mobile, l’auteur anglais Stephen Simon (traduit avec fidélité par Séverine Magois) a choisi l’un des personnages les plus emblématiques dans ce genre d’histoires : le chauffeur de Taxi. Empreint d’une incroyable empathie, il a fait de son regard l’écran vivant sur lequel est projetée sa détresse et celle des charges. Et en termes de celui qui a ce regard, reconnaissons à Philippe Torreton son authenticité, sa simplicité, sa qualité de funambule tout le long de la pièce, comme un filament s’enflammant avant l’embrasement. Car forcément, c’est ce qui va arriver. Ça, on le sait très vite. Puisque lui-même est à la quête d’un pardon, d’une lueur dans sa vie noircie au charbon des remords.


C’est que cinq ans auparavant, il fut au cœur d’un chaos dont on taira ici la raison. Et ne croyez pas que de deviner ce qui va se passer gâche la pièce. Bien au contraire, au rythme des appels téléphoniques entre Jimmy et Clare, entre deux charges, on a plaisir à assister au retour de ce duo qu’il a formé jadis avec elle ; elle nommée Clare, alias Julie-Anne Roth. Remarquable, toute en subtilité, elle offre à ce duo ce petit plus de sincérité qui manque tant, ces temps-ci, au théâtre français.


Autre petit bonheur suprême ; nous ne sommes pas dans la consommation de mot – pourtant abondants - pour simplement consommer du mot, mais dans celle de la cruelle réalité, dans la vraie vie, au plus proche de ceux qui ont mal à leur passé pour l’avoir eux-mêmes accidenté. Accident collatéral dont on ne se remet pas – sa prison on se la construit soi-même -, à tel point qu’on enferme son existence derrière des grillages, un pare-brise, dans le feu croisé des phares ou bien à l’ombre d’un réverbère.

Bluebird-©Julien Piffaut


Ici, donc, pas de sortilège biblique, Claire Devers, la metteuse en scène, a œuvré en véritable maîtresse d’un théâtre dépourvu de faux semblant, servant au passage la mémoire de la petite fille disparue tragiquement et dont l’absence évoquée constamment la rend plus présente que tous ces personnages réunis, parents et charges compris.


Enfin, si la mise en scène est à saluer allègrement, la scénographie d’Emmanuel Clolus, subtilement et ingénieusement mise en lumière par Olivier Oudiou et Thomas Cottereau, accentue la prouesse des acteurs, tous talentueux ; Philippe Torreton, Baptiste Dezerces, Marie Rémond, Julie-Anne Roth, avec une mention toute spéciale pour Serge Larivière, plein de justesse et fébrile à souhait.


En somme, Bluebird est une formidable virée dans l’inconscient de ceux qui vivent un drame, récent ou lointain dans le passé, soudain éclairé à la lumière d’une psyché humaniste, à l’image de l’altruiste Jimmy. Un théâtre de la vie à vivre sans modération !


Anne Champaigne


Théâtre du Rond-Point / Salle Jean Tardieu - 2bis avenue Franklin D. Roosevelt Paris 8e. Jusqu’au 4 mars, puis en tournée.



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