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LA RESISTIBLE ASCENSION D’ARTURO UI de Brecht


Années 1940. Fuyant l’Allemagne, puis la Scandinavie, Bertolt Brecht s’installe en Amérique. C’est là qu’il compose sa « Charge héroïque », torpille de l’esprit contre le Régime nazi. Chicago. Le marché du chou-fleur est dominé par le puissant Clark. Un ramassis de bandits sans scrupules, dominé par Arturo Ui, voyou sans scrupules, avide de pouvoir, tente d’en prendre le contrôle : chantage, crime, manipulation, corruption, notamment à l’endroit du prétendu vieil incorruptible Hindsborough, s’enchaînent, avec seul but, la puissance. Les corps s’effondrent, les âmes s’affaissent, le cynisme convainc, le fruit pourrit : Arturo Ui devient populaire. Fable barbare, cirque infernal, l’ « Ascension » conserve la densité de son poison. On songe, par évidence, à la situation contemporaine. Les truquages, les simplifications, l’intimidation morale et physique, plus actuels que jamais, redonnent à l’œuvre du grand dramaturge allemand une jeunesse inquiétante. Le metteur en scène de cet opéra hurlé provient d’Allemagne de l’Est, né derrière le Rideau de fer, fille du grand metteur en scène Benno Besson, comédienne elle-même, tout comme sa mère : Katherina Thalbach a conçu une toile d’araignée gigantesque où les mouches s’aventurent, pour leur plus grand péril. L’effet est saisissant. Grimés, sculptés, soufflés comme le verre, les Comédiens-Français se déchaînent, emberlificotés ou reptiliens : Bruno Raffaeli, magistral dans le rôle d’Hindsborough/Hindenburg, Thierry Hancisse, animal Romo/Röhm, Jeremy Lopez, inquiétant en Gobbola/Goebbels, le petit boiteux vengeur, Michel Vuillermoz en représentant du « Viel-Art », Serge Bagdassarian, le nouveau mince, composant un Gori/Göring « hénaurme », Nicolas Lormeau, sublime d’émotion dans le rôle du Chancelier assassiné Dollfuss (alias Dollfot). Laurent Stocker, si talentueux et lanceur de défi, incarne le monstrueux Ui/Hitler comme personne n’a osé le faire avant lui : on dirait qu’il a accroché sa raison à une patère de sa loge. Hommage ! Sans oublier Nazim Boujenah, Elliot Jenicot, Eric Genovese, Bakary Sangaré, Jérôme Pouly et les autres, tous excellents. Ce spectacle représente un tel aboutissement, une force dégagée que, seule, la perfection peut libérer, qu’il faut courir voir cet « Arturo Ui » de mémoire d’homme. Vent d’épée dans un calme inquiétant.


CL Morel


Comédie-Française, 1 place Colette, Paris Ier. Métro : Palais-Royal ou Pyramides. Location : 01 44 58 1515. En alternance. Jusqu’au 30 juin.

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