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PALESTRO de Aziz Chouaki et Bruno Boulzaguet


Il faut une sacrée dose de liberté féroce et intellectuelle, et talentueuse, pour exhumer les ressentis d’un conflit survenus en mai 1956. À une période où les divisions politiques sont bien plus des drames humains que des batailles d’idéaux. Quand eux-mêmes (les descendants des soldats) n’avaient encore aucune présence sur cette si belle terre tiède et ocre qu’est le sol algérien.


Si Aziz Chouaki et Bruno Boulzaguet se sont lancés dans la dénonciation d’un moment de l’histoire de la colonisation, arrivant douloureusement (et heureusement) à son terme, ils ne l’ont pas fait au travers d’un prisme souvent interrogé par la voix commune des armes, mais en partant de la mort d’un ancien soldat, jeune en 56 et revenu mort-vivant en France, et dont la véritable mort, plusieurs décennies après, laisse trois enfants dans la colère, le questionnement, les rancœurs. Ce qui pose d’emblée le sujet de l’origine du mal perceptible dans le texte.


Et c’est là toute la subtilité de la pièce. Parce qu’il est vital pour eux de comprendre ce qui a alourdi leur jeunesse, pourquoi ce père est devenu une référence honteuse, mortifère, Palestro accuse les consciences bien pensantes, celles qui veulent démontrer le manichéisme de l’être humain, alors qu’il s’agit d’un rêve de notre espèce. Non, la guerre, bien que lointaine pour la plupart d’entre nous, n’est pas une chimère. Elle vous poursuit, fermente dans notre âme, indissociable des histoires de famille, celles du passé, comme celles en devenir. Jusqu’à bloquer parfois le processus d’enfantement chez la plus fragile.


Il y a donc cette famille. Deux frères, une sœur. Submergés par les rancoeurs, ils se noient dans la destruction de leurs idéaux, fascisants pour le frère aîné, défenseur des opprimés pour le second, quand la fille, dotée d’un sens de survie extraordinaire, presque inconscient, tente d’élever la pensée à un avenir plus optimiste. Un trio exceptionnel – fait des excellents Luc-Antoine Diquéro, Stanislas Stanic et Cécile Garcia-Fogel - qui va éclater en s’accusant les uns après les autres d’être à l’origine du mal-être de l’autre, jusqu’à ce que le coupable soit dénoncé aux abords de sa tombe, dans une ode à la délivrance de soi.


Dès le début, on comprend le cheminement vers lequel les auteurs ont voulu nous emmener. Mais attention, magicien est celui qui en aurait pu écrire les lignes avant de les entendre. La première scène commence donc par la vie que l’on prend en autostop, comme cela peut arriver banalement, sauf que dans ce voyage, on a pour vie ce trio de frères et de sœur, en quête de la rencontre de ce défunt exceptionnel, à bord d’une voiture aux relents de simili cuir cramé. À ceux également des années soixante qui ont tant gangréné les générations suivantes. À ceux surtout des adieux définitifs. Et durant lesquels, les trois enfants vont se cogner les uns contre les autres, comme aveugler par une charge trop lourde, par un brouillard sortant encore des canons avec lesquels on fit la guerre sur le sol algérien, et le pire, en leur nom propre, dans une mise en scène efficace. D’ailleurs, faut-il saluer les qualités scéniques, la mise en feu de ce spectacle – sous les lueurs remarquables des lumières de Olivier Oudiou - qui tonne là où le devoir de mémoire est fondamental pour ne pas recommencer nos pires horreurs. Tout comme il faut citer les trois excellents élèves de l’ESCA d’Asnières, dont on se demande ce qu’ils ont encore d’apprentis, tant leur prestance est juste et intelligente. Arrimés à l’histoire de ce Palestro sanguinaire, Guillaume Jacquemont, Étienne Bianco et Tom Boyaval permettent de nous faire vivre en direct quelques séquences monstrueuses comme seule la guerre le permet.


Bien plus qu’une série de colères, et de larmes propres, Palestro, c’est donc, avant tout la confrontation road-moviesque de générations diverses en proie au vacillement du monde, version intimiste. Dans un sas où tout semble s’écrouler, mais où tout se relève, le bien comme le mal. Sorte de roue qui n’en finit pas et à laquelle le destin du monde semble y être attelé définitivement. Et que Cécile Garcia-Fogel, dans la partie la plus écrite du texte, sait faire tourner avec une justesse exceptionnelle.


A voir dans l'urgence !!!


Ambroise Steiger


Théâtre de l’Atalante, 10 place Charles Dullin, 75018 Paris. Métro : Anvers. Réservation : 01 46 06 11 90. Du 24 mars au 1er avril 2017. Les lundis, mercredis et vendredis à 20h30. Les jeudis et samedis à 19h. Les dimanches à 17h00. Jusqu’au 1 avril.

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